Les Malheurs de Sophie sur Mars
texte: Faustine
illustrations: RobotBoy

C'est l'histoire de Sophie, une petite gourde de la Terre qui pompait tellement le noeud à sa gouvernante et à tous ses cousins que d'un commun accord ils décidèrent de l'expédier sur la colonie pénitentiaire de Mars.



 

Munie de nombreuses malles contenant toutes ses robes en taffetas et à crinoline (une par jour de la semaine plus une pour chaque fête catholique), Sophie fut embarquée de force et attachée sur son siège (la bouche scotchée) dans la fusée "Ievoli Sun" assurant la ligne régulière Yverdon-NewGrosbiderschtrof.


 

Sophie, bien que fort triste de quitter ses malheureux cousins, à qui elle avait pris l'habitude de faire subir les pires outrages (en mangeant leur dessert ou en glissant des scorpions dans leurs bottes de cheval), ne manquait pas d'être intriguée par la vie nouvelle qui s'offrait à elle. La perspective de fréquenter tous ces bagnards virils et musclés auréolés de l'odeur de fauve propre au mâle qui se néglige la remplissait d'une joie anticipée.

Mais Sophie ne sait rien de l'abominable colonie pénitentiaire dans laquelle
on l'expédie! Elle ignore que tous les violeurs, assassins et fricoteurs
boursiers de la Galaxie y croupissent! En plus, sur Mars, on mange mal!
Sophie prendra-t-elle le dessus ou sera-t-elle réduite à l'état d'esclave
sexuelle???



 

Attachée sur son fauteil, avec à sa gauche la Terre qui se reduit à vue d'oeil et à sa droite l'épave historique et branlante de la station MIR, Sophie ne pouvait s'empêcher de laisser son imagination divaguer follement. Quand elle arriverait sur Mars, la première chose qu'elle ferrait serait de prendre un bon bain chaud dans lequel se seraient dissouts de nombreux sels parfumés, afin de rendre à son épiderme la souplesse d'une vraie peau de jeune fille. Puis elle découvrirait qui était le chef de la colonie pénitentiaire et le séduirait sans vergogne, mais avec quelque chose derrière la tête: organiser à son compte le traffic de boisson aux plantes.

Aux abords de Mars, la ville tentaculaire et glauque de New Grosbiderschtroff paraissait attendre le chaland comme une grosse Veuve Noire dans sa toile. La fusée Ievoli Sun se prépara à l'amarsage en exibant ses suspenseurs poly-retractibles, et, couinante, se posa dans une grande gerbe de flammes vertes et roses. Sophie eut un haut le coeur (car elle est toujours malade en fusée)
 

Sophie trouva que l'air de Mars sentait le choux de Bruxelles périmé, ce qui n'arrangea en rien l'état de son bol alimentaire, déjà marécageux. C'est toute flageolante qu'elle mis pied sur la surface de cette planète, dont le processus de terraformation avait quelque peu échappé aux scientifiques terriens chargés de rendre Mars habitable. C'était devenu une jungle à la torpeur moite et odoriférante, et sa capitale NG était cernée de toute part par une végétation vorace qui menacait à chaque instant de l'engloutir. Notre héroïne dut envisager de ne porter que les armatures métalliques de ses robes (mais elle trouverait par la suite le moyen de reconvertir les etoffes précieuses en rideaux et tapisseries pour donner à sa cellule l'aspect cosy d'un boudeoir 19ème).


Rico était un grand maton tatoué au coeur tendre, qui ne pouvait s'empêcher
d'éprouver de la peine pour cette jeune fille qu'il était chargé de
receptionner à la sortie de la fusée en provenance de la Terre. Mars n'était
pas un terrain de jeu propice aux donzelles innocentes, et celle-ci, vu son
âge et son background social, en était certainement une. A première vue,
Sophie correspondait tout à fait à l'idée qu'il en avait: mince et fragile,
elle paraissait complètement désorientée, la pâleur de son visage tirant
vaguement sur le vert....Les Doc Martins de Rico se rappeleraient longtemps
du premier soir de Sophie sur Mars...
 
 

Rico, Sophie sous le bras et 3 malles sur le dos, se fraya à grands coups de
lattes un passage à travers la foule bruyante et bigarrée de NG.

 

Un émotrope baveux essaya d'arrêter le maton en lui collant dans le cou son organe du marchandage. Pas de bol pour Sophie, elle reçut sur le visage une giclée de muqueuse tropienne, dont la consistence est à la bave de crapaud ce que le jardin de mon grand-père est au chapeau de mon oncle: beaucoup plus boueux. Sophie eut un nouveau haut-le-coeur et Rico protesta violemment. "Sophie, c'est pas contre toi mais....Tu pourrais garder ton estomac dans ta cavité abdominale? Et toi, l'émotrope baveux, je sais ce que tu cherches mais j'ai pas le temps. Rejoins-moi ce soir à la Taverne de la Flüre qui Broüte, 3, rue de l'Incertitude, à 25 heures 75 tapantes."


 

La deception qui s'afficha sur le bulbe gélatineux de l'émotrope faisait peine à voir; cela faisait plus de 173 années terriennes que notre ami Blob essayait de mettre la main (façon de parler évidemment) sur un des trois  seuls spécimen connus de poupée B@rbie marxiste. Car Blob avait deux passions dans l'existence: le marxiste-léninisme et tous ses dérivés d'une part, et ces merveilleuses représentations stylisées de la gent féminine
humaine que sont les poupées B@rbie, d'autre part. Et voilà qu'il avait ouïe dire, par quelques amis qui laissaient trainer leurs multiples pavillons acoustiques un peu partout, qu'il allait avoir l'occasion d'associer ses deux raisons de vivre! Et cela grâce à Rico, bien connu pour être un traficant de poupées B@rbie dans leur emballage d'origine!

En prenant le chemin de son terrier anaérobique, Blob imaginait déjà la
poupée, revêtue de son coquet uniforme de soldat
russe,  dans le décor de la Place Rouge en hiver, fièrement dressée à coté
de sa maquette du Mausolée de Lenine. Il tressautait d'impatience à l'idée
de retrouver ce soir-là Rico au lieu-dit de la Flüre qui Broüte, tandis que
la petite boule blafarde du soleil sombrerait derrière les frondaisons
envahissantes de la jungle martienne et que l'éclairage public défaillant
échouerait à supprimer les coins d'ombre dans les ruelles marécageuses de la
capitale. Il n'avait même pas noté la présence de la Terrienne Sophie, et
pourtant celle-ci allait bientôt changer le cours de son existence.....



Rico et Sophie arrivèrent dans le sinistre hall d'entrée du bâtiment dans lequel Sophie allait provisoirement être hébergée, le temps que la cellule qui lui était destinée soit vidée des cadavres qui en jonchaient le sol. La prison de NG était le lieu de rixtes sans fin causées par une surpopulation excessive. Pas moins de 15 individus, de race et de moeurs galactiques diverses, s'étaient étripées sur une surface de 6 mètres carrés pour savoir quel serait l'ordre de préséance quant à l'accès aux chaines cablées du poste de télé archaïque.

La pièce était maintenant vidée de ces occupants, mais il flottait encore
dans l'air comme un remugle de physiologie extraterrestre, et le sol était
jonché de débris à l'origine douteuse. Plutôt que de tenter sur le champ
l'escalade de la pyramide sociale de la colonie pénitentiaire de Mars,
Sophie décida de prendre son mal en patience et de s'amuser avec les
gardiens. Elle remercia sèchement Rico, qui ne s'en formalisa pas, car son
coeur, exception parmi ses muscles en titane renforcé, était tendre comme
une charlotte aux fraises. Sophie fit appeler le majordome pour exiger des
draps en soie, mais c'est une mégère velue qui apparut.




 

La zicrouille zizotait sur les berges et le cropathe   tatanait dans les
frondaisons: c'était l'heure  pour Blob de se rendre à son rendez-vous de la Flüre qui Broüte. 
Il se brossa les auvents, s'astica  vigoureusement l'organe   du marchandage, et verifia une dernière fois son reflet dans la glace: il était prêt. 


 

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